“Il est indéniable que le système terrestre semble à bout de forces, il semble perdre son aptitude physique à encaisser et à atténuer les pressions, le stress et la pollution que nous lui imposons.”
C’est le propos terrible que fait Johan Rockström dans Le Grand Livre du Climat (Kero, Calmann Levy).
L’aptitude physique que le système terrestre a désormais de plus en plus de mal à encaisser et dont Johan Rockström parle, c’est en d’autres termes ce qu’on appelle les points de bascule, ou points de non-retour.
Selon la définition du Giec, un point de bascule est un seuil “au-delà duquel un système se réorganise, souvent brutalement et/ou de manière irréversible"
Lorsqu’ils sont franchis, ce sont des systèmes entiers qui sont bouleversés, et des réactions en chaîne qui s’orchestrent en modifiant toujours plus rapidement les conditions du climat. Ce sont les boucles de rétroaction.
Zoom sur ces phénomènes qui emballent le climat.
Des points de non retour à ne pas dépasser
Les points de bascule du système terrestre sont des points d’équilibre qui régulent le climat et la biodiversité, nécessaires aux conditions d’habitabilité de la Terre telles que nous les connaissons. Si leurs seuils sont franchis, ce sont des systèmes entiers qui disparaissent.
Ces points d’équilibres joue un rôle majeur sur le bon fonctionnement du système Terre puisqu’ils nous rendent, à nous êtres humains, des services nécessaires à nos conditions d’existence (en nous permettant de nous alimenter ou d’avoir accès à de l’eau potable), mais aussi grâce à leur forte capacité à absorber les tensions faites sur le système Terre (comme le réchauffement climatique conséquence de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ou la déforestation).
Mais tout a des limites. Ces systèmes ne peuvent pas tout encaisser indéfiniment, et au bout d’un moment, comme n’importe quelle pression exercée sur quelque chose, ça pète.
Et c’est exactement ce qu’il risque de se passer si on ne stoppe pas nos pressions sur les systèmes terrestres en tension, ils basculeront définitivement vers des états nouveaux dont leurs propriétés changeront radicalement.
Mais concrètement, comment ça fonctionne ?
Comment se représenter un point de bascule ?
Prenons une autre définition pour tenter de mieux comprendre comment ces équilibres fonctionnent.
Toujours dans Le Grand Livre du Climat, Johan Rockström définit un seuil de rupture comme “un stade à partir duquel une petite altération suffit à faire brutalement basculer certains éléments du climat et des écosystèmes dans un état radicalement et irréversiblement modifié”.
C’est par exemple, lorsqu’une faible hausse des températures à l’échelle du monde entraîne la transformation d’une forêt tropicale en savane aride (c’est d’ailleurs exactement le scénario qui est en train de se dessiner pour la forêt amazonienne).
Et ces transformations, lorsqu'elles ont lieu, entraînent ce que l’on appelle des boucles de rétroaction. On y revient juste après.
Pour bien comprendre ce qu’on entend par franchissement d’un point de bascule, on peut se référer à un schéma très bien expliqué issu du Grand Livre du Climat.
- Sur les schémas de 1 à 2, tout va bien, on voit que le système absorbe les tensions exercées sur lui-même, il ne change pas d'État.
- Sur les schémas de 2 à 3, les tensions sur les systèmes commencent à s’intensifier, ils tiennent le coup, mais il ne faut pas aller plus loin.
- Sur les schémas 4 à 5b, le point de bascule est atteint. Les systèmes ont trop été mis sous pression, et on cédé, on assiste alors à un changement irréversible de ce système.
Comme le souligne Carbon Brief dans une analogie, “un point de basculement, c'est un peu comme lorsque vous finissez par retirer la mauvaise brique d'une tour au Jenga. Tout s'effondre !”
Pour résumer, deux choses sont à retenir
- Atteindre un point de non-retour revient à enclencher une nouvelle machinerie biophysique, qui pousse un système vers un nouvel état.
- Les points de bascule ne sont pas forcément brusques. Si on franchit un point de bascule aujourd’hui ou demain, le plein impact pourrait n’être visible que des centaines ou des milliers d’années plus tard.
16 points de bascule aujourd'hui identifiés
En 2008, une série de points de bascule climatiques potentiels étaient identifiés.
Alors que les politiciens et même certains scientifiques avaient du mal à croire que ces seuils puissent un jour être atteints, c’est avec effroi que même pas 15 années plus tard, de nombreux chercheurs publient dans la revue Science un bien triste constat : cinq points de bascule pourraient être franchis au niveau de réchauffement actuel, et rendraient possible la disparition des glaciers de montagne, le déplacement des forêts boréales et la perte de glace dans la mer de Barents.
Les chercheurs du Stockholm Resilience Centre poussent un cri d’alerte à travers cette étude.
“Cette étude fournit un solide soutien scientifique à l’objectif plus ambitieux de 1,5 °C de l’Accord de Paris, qui minimiserait la probabilité de déclencher des points de bascule climatique. Cependant, plusieurs points de bascule sont encore possibles ou même probables à ce niveau, faisant probablement de 1 °C une limite plus sûre. Sachant que les politiques actuelles nous placent sur la trajectoire dangereuse de 2,6 °C.”
Le dépassement des seuils de ces points de bascule entraînera des conséquences encore plus néfastes pour le climat, illustrées par les boucles de rétroaction, dont le rôle ne permettrait plus d’atténuer et rafraîchir le climat, mais bien d’accélérer son emballement.
Boucles de rétroaction et emballement du climat
Parfois conséquences du dépassement des seuils des points de ruptures, on définit une boucle de rétroaction comme des phénomènes climatiques entraînant des réactions en chaînes qui s’autoalimentent et s’amplifient au fur et à mesure qu’elles évoluent.
On considère qu’une boucle de rétroaction climatique peut alors soit dérégler le climat et amplifier les perturbations induites par le changement climatique, on parlera alors de boucle de rétroaction positive, soit équilibrer ou atténuer l’effet du changement climatique, on parlera alors de boucle de rétroaction négative.
Pour vulgariser, on parle de boucle de rétroaction lorsque les conséquences du changement climatique sur un système entraînent des conséquences encore plus importantes sur celui-ci.
Bon dis comme ça, ça peut sembler assez flou, c’est vrai.
Prenons quelques exemples pour y voir plus clair !
NB : Dans un esprit de rigueur sur les informations apportées, les scientifiques des différentes études et articles que nous avons stipulent que les dynamiques complexes détaillées ci-dessous et leurs fonctionnements précis sont à l’avant-garde scientifique et ne sont pas encore tous attestés. Mais suscitant l’inquiétude, ils est nécessaire de les évoquer.
La fonte de la banquise
Au niveau des pôles, le réchauffement climatique accélère la fonte de la banquise. Jusque là rien de nouveau.
Sauf que la banquise joue un rôle immense dans l’atténuation du réchauffement climatique grâce à son albédo très élevé.
L’albéQUOI ?
La banquise est blanche et réfléchit l’énergie solaire (de 80% à 90% des rayons solaires). C’est un peu comme quand vous portez un t-shirt blanc en été à la place d’un t-shirt noir, normalement vous avez moins chaud. Pour la banquise c’est pareil, elle réfléchit l’énergie solaire et inhibe donc le réchauffement au sol. C’est ça que l’on appelle l’albédo.
Revenons à notre boucle de rétroaction.
Si la banquise fond à cause de l’augmentation des températures, sa surface va rétrécir, et donc les rayons du soleil seront moins réfléchis.
S’ils sont moins réfléchis, ils pénètrent directement dans les océans, et les océans, c’est sombre ! Repensez à votre t-shirt de tout à l’heure, si vous portez un t-shirt noir en plein soleil, vous avez plus chaud !
Et si la chaleur n'est pas renvoyée, elle est plus captée, donc le réchauffement au sol augmente.
On est sur une belle boucle de rétroaction :
Augmentation des températures → Fonte de la banquise → Les rayons du soleil sont moins réfléchis → Les températures augmentent encore plus.
La boucle est bouclée.
Les feux de forêts : l'exemple de la forêt amazonienne
On l’a vu, le réchauffement mondial accélère la fonte des glaces aux pôles (la calotte du Groenland et les glaces de mer arctiques).
Ce phénomène de fonte entraîne un ralentissement de la circulation méridienne de retournement Atlantique qui se répercute sur la mousson en Amérique du Sud.
La circulation méridienne de retournement Atlantique c’est ce qu’on appelle la circulation thermohaline (dont le Gulf Stream fait partie), il s’agit des grands courants marins de profondeurs, on y reviendra dans un prochain article.
La mousson étant perturbée, cela entraîne une augmentation des sécheresses en Amazonie et donc des incendies dont les émissions brutales de CO2 viennent se réinjecter dans l’atmosphère.
En brûlant, les arbres relâchent d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère qui viendra s’accumuler dans celle-ci. Cette accumulation de CO2 viendra augmenter l’effet de serre et l’augmentation des températures qui causera l’assèchement croissant des zones, qui aura pour conséquence l’augmentation des incendies. Et ainsi de suite.
La boucle est bouclée, une nouvelle fois, c’est effrayant.
La fonte du pergélisol (ou Permafrost)
Les sols de Sibérie et du Nord du Canada sont des sols qui restent gelés en permanence tout au long de l’année, et ça depuis des centaines de milliers d’années.
Avec le réchauffement climatique, ces sols que l’on connaît sous le nom de pergélisol (ou permafrost), sont soumis à rudes épreuves et menaces de dégeler.
Sauf que dans ces sols, un gaz à effet de serre réside, un gaz dont le potentiel de réchauffement global est d’environ 30 fois supérieur à celui du CO2 : le méthane.
En fondant à cause du réchauffement climatique, ce gaz serait alors libéré.
Sa libération viendrait charger l’atmosphère de nouveaux gaz au pouvoir réchauffant dévastateur, accélérant alors le réchauffement climatique global.
La boucle est de nouveau bouclée, et ça fait froid dans le dos.
Les points de bascule et les boucles de rétroaction sont des phénomènes et des états très complexes largement étudiés par la sphère scientifique.
Plus les recherches avancent, plus on se rend compte qu’il est absolument fondamental de comprendre les interactions entre les systèmes terrestres et leurs boucles de rétroaction, et ceci afin d'évaluer les risques qui se manifesteront si nous poussons la planète trop loin.
Pour aller plus loin
- Le Grand Livre du Climat, Greta Thunberg, Éditions Calmann Levy, 2022
- Allas de l'Anthropocène, François Gemenne, Aleksandar Rankovic et Atelier de cartographie de Sciences Po, Éditions Presses de Sciences Po, 2021
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