Depuis une dizaine d’années, la prise en compte des enjeux environnementaux dans les politiques publiques et les stratégies d’entreprise s’est fortement accélérée. Dans le sillage des exigences ESG, de plus en plus de cadres réglementaires et normatifs intègrent désormais la biodiversité, aux côtés du climat. Cette évolution marque un tournant : la préservation et la restauration de la nature ne sont plus des sujets périphériques, mais deviennent des piliers structurants des politiques économiques, notamment pour les entreprises et les institutions financières.
Dans cet article, nous allons explorer les grands dispositifs qui dessinent ce nouveau paysage réglementaire : de la COP15 à la CSRD, en passant par la TNFD et les stratégies nationales, tour d’horizon des cadres qui encadrent — et encouragent — l’action pour la nature.
L’accord de Kunming-Montréal (COP15 biodiversité), socle de référence pour la lutte contre la destruction de la nature.

Tenue en décembre 2022 à Montréal, la 15ᵉ Conférence des Parties (COP15) pour la diversité biologique a marqué une étape majeure dans la gouvernance mondiale de la biodiversité. Rassemblant les 196 parties signataires, elle a abouti à l’Accord de Kunming-Montréal, posant une feuille de route à l’échelle internationale pour enrayer l’érosion de la biodiversité d’ici 2030.
Cet accord fixe 4 grands objectifs et 23 cibles opérationnelles, parmi lesquelles figurent :
- La mise sous protection de 30 % des terres, des eaux intérieures, des zones côtières et marines d’ici 2030.
- La restauration écologique de 30 % des écosystèmes dégradés.
- La réduction de 50 % de l’impact des substances nocives pour la biodiversité, notamment via une meilleure gestion agricole et des déchets.
- La suppression ou la réorientation des subventions néfastes à la biodiversité d’ici 2025, avec un objectif de réduction de 500 milliards de dollars d’ici 2030 ;
- La mobilisation de 200 milliards de dollars par an en faveur de la biodiversité.
Ces engagements s’inscrivent dans une vision qui s’articule autour de plusieurs grands enjeux : la réduction des menaces sur la biodiversité, l’usage durable des ressources, le partage équitable des bénéfices liés aux ressources génétiques, et la mobilisation des moyens financiers et techniques pour y parvenir.
Cet accord engage l’ensemble des parties signataires — dont l’Union européenne — et pose les bases d’une coopération internationale renforcée pour préserver le vivant.
Les cadres volontaires d’engagement pour la biodiversité
TNFD : vers un reporting financier aligné sur les enjeux de nature

Alors que la COP15 fixe un cap politique ambitieux pour la biodiversité à l’échelle mondiale, des initiatives complémentaires émergent pour outiller les acteurs économiques dans la prise en compte concrète de ces enjeux. C’est dans cette dynamique qu’est née en 2021 la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD).
Inspirée de la TCFD (Taskforce on Climate-related Financial Disclosures) qui a structuré les pratiques de reporting sur les risques climatiques, la TNFD propose un cadre volontaire destiné à aider les entreprises et les institutions financières à identifier, évaluer, gérer et divulguer leurs risques et dépendances liés à la nature.
Le cadre de la TNFD vise un double objectif :
- Accroître la transparence financière autour des impacts et dépendances liés à la biodiversité.
- Favoriser la redirection des flux financiers vers des activités compatibles avec la préservation des écosystèmes.
Il s’agit donc non seulement d’anticiper les risques (réglementaires, physiques, de réputation, etc.), mais aussi de saisir les opportunités liées à la nature : innovations, nouveaux marchés, partenariats territoriaux, réduction des coûts liés à la rareté des ressources…
Depuis son lancement, la TNFD a connu un développement rapide : 320 organisations s’étaient déjà engagées comme "early adopters" en janvier 2024, parmi lesquelles de grandes entreprises, des PME et des institutions financières. Ces acteurs s’approprient progressivement ce cadre pour produire un reporting facilitant le dialogue avec les investisseurs, les régulateurs et les autres parties prenantes.
La TNFD ne crée pas une obligation légale, mais préfigure les attentes futures en matière de transparence extra-financière. Son adoption croissante renforce l’idée que la biodiversité devient une composante incontournable de la performance et de la résilience économique.
SBTN : des trajectoires scientifiques pour reconnecter entreprises et nature

Dans la continuité des démarches de transition climatique, le cadre Science Based Targets Network (SBTN) propose aux entreprises une nouvelle manière de s’aligner avec les limites planétaires, cette fois-ci du côté de la nature et de la biodiversité.
Lancé par le réseau des Science Based Targets Initiative, ce cadre vise à fournir des objectifs environnementaux fondés sur la science, à destination des entreprises comme des collectivités. L’ambition : offrir des méthodologies robustes et un langage commun pour orienter les efforts de réduction des impacts et de restauration des écosystèmes.
Les objectifs du SBTN s’alignent avec ceux de la COP15 et des grandes conventions internationales. Ils permettent aux entreprises :
- de fixer des trajectoires ambitieuses de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
- de protéger et restaurer les milieux naturels,
- et plus largement, de s’intégrer dans une stratégie globale de durabilité, cohérente avec les objectifs scientifiques en matière de climat et de biodiversité.
Mais le SBTN ne se limite pas à des indicateurs ou des cibles chiffrées. Il place au cœur de sa démarche la coopération entre acteurs économiques, scientifiques et parties prenantes. L’un de ses principaux enjeux est de favoriser l’apprentissage collectif, le partage de connaissances, et l**’élaboration de solutions** co-construites à l’échelle des territoires et des chaînes de valeur.
Ce cadre volontaire, en pleine structuration, vise à accélérer l’adoption d’actions concrètes. Il s’adresse à tout type d’organisation — entreprise, collectivité ou institution — qui souhaite s’engager dans une dynamique de contribution positive à la nature, tout en renforçant sa résilience face aux risques environnementaux.
La Stratégie Nationale pour la Biodiversité 2030 : une feuille de route française pour la nature

Aux côtés des cadres internationaux ou sectoriels, la France s’est dotée de sa propre stratégie pour organiser, à l’échelle nationale, la mobilisation en faveur de la biodiversité. Lancée en 2023, la Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB) 2030 répond à un double enjeu : enrayer l’érosion du vivant sur le territoire français et aligner les politiques publiques nationales avec les ambitions européennes et internationales.
Cette stratégie repose sur 40 mesures concrètes, conçues comme une feuille de route pour la décennie à venir. Son ambition : structurer l’action publique et privée autour d’objectifs partagés, mobiliser l’ensemble des acteurs — de l’État aux collectivités locales, en passant par les entreprises, les citoyens et les associations — et coordonner les efforts sur tout le territoire.
Parmi les objectifs clés, la SNB 2030 prévoit :
- La réduction de moitié du risque global lié aux pesticides.
- La restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et maritimes dégradés d’ici 2030.
- La protection de 30 % du territoire français, terrestre et marin, dont 10 % en protection forte.
- La lutte contre les espèces exotiques envahissantes.
- Et l’ambition de stopper l’extinction des espèces causée par les activités humaines d’ici 2050.
Cette stratégie encourage une mobilisation territoriale, impliquant tous les niveaux de gouvernance et les parties prenantes locales. En ce sens, elle joue un rôle crucial pour traduire les grandes orientations internationales dans la réalité des territoires français, en prenant en compte les spécificités écologiques, économiques et sociales locales.
La SNB 2030 constitue donc un cadre d’action collectif, aligné avec l’Accord de Kunming-Montréal, mais adapté au contexte français.
Les cadres réglementaires européens et nationaux pour la biodiversité
La loi européenne sur la restauration de la nature

Au-delà des cadres volontaires, l’Union européenne a franchi un cap avec l’adoption en 2024 de la Loi sur la restauration de la nature, un cadre juridique contraignant qui engage les 27 États membres autour d’objectifs communs. Cette législation historique vise à restaurer les écosystèmes dégradés à l’échelle du continent, dans une logique de résilience écologique, climatique et alimentaire.
La loi s’inscrit dans le Pacte vert pour l’Europe et vise à concrétiser les engagements européens en matière de biodiversité, de climat et de sécurité alimentaire. En fixant des objectifs obligatoires, elle change d’échelle et de posture : il ne s’agit plus seulement d’encourager, mais de rendre la restauration écologique incontournable et mesurable.
Les principaux objectifs fixés par le texte :
- Restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimes de l’UE d’ici 2030,
- Restaurer tous les écosystèmes qui en ont besoin d’ici 2050.
Au-delà de ces chiffres, la loi impose des cibles sectorielles précises : chaque État membre devra restaurer au moins 30 % des habitats dégradés identifiés dans la législation (forêts, prairies, zones humides, rivières, lacs, fonds marins…), puis 60 % d’ici 2040 et 90 % d’ici 2050.
Ces actions doivent permettre de remettre en bon état les milieux les plus fragiles et de réconcilier production, résilience écologique et adaptation au changement climatique. La restauration des écosystèmes est aussi vue comme une condition essentielle pour garantir à long terme la sécurité alimentaire, en protégeant les sols, les ressources en eau, les pollinisateurs et les régulations naturelles.
Cette loi marque une évolution forte : pour la première fois, la nature devient objet de politiques contraignantes à l’échelle européenne, au même titre que le climat ou l’économie. Elle oblige les États membres à planifier, suivre et rendre compte des actions menées, tout en les incitant à mobiliser leurs collectivités territoriales, les acteurs économiques et la société civile pour atteindre ces objectifs.
La taxonomie verte : un langage commun pour une finance alignée avec les enjeux environnementaux

Dans le paysage réglementaire européen, la taxonomie verte occupe une place centrale. Entrée en vigueur en janvier 2022, elle constitue le second pilier réglementaire du plan d’action de l’UE pour la finance durable, après la directive sur la publication d’informations extra-financières. Son objectif : créer un référentiel unifié permettant d’identifier quelles activités économiques peuvent être considérées comme réellement « vertes », sur la base de critères scientifiques clairs.
Concrètement, la taxonomie fournit un cadre d’évaluation commun à destination des grandes entreprises et des institutions financières. Elle permet :
- d’évaluer la durabilité des activités économiques sur la base d’un référentiel couvrant 90 secteurs (qui représentent plus de 93 % des émissions de GES en Europe) ;
- de définir des critères d’éligibilité et d’alignement avec la transition vers une économie bas carbone et résiliente, en lien avec 6 objectifs environnementaux (dont l’atténuation du changement climatique, la protection des écosystèmes ou l’usage durable de l’eau).
L’enjeu étant de mieux orienter les flux financiers vers les activités réellement durables, lutter contre le greenwashing, et permettre aux investisseurs, aux régulateurs et au grand public de comparer les engagements et la performance environnementale des acteurs économiques.
Depuis 2023, les grandes entreprises de plus de 250 salariés et les institutions financières doivent publier chaque année la part de leur chiffre d’affaires, de leurs investissements et de leurs dépenses qui sont alignés avec la taxonomie. Ce reporting devient un levier puissant pour accélérer la transformation des modèles économiques, en valorisant les acteurs les plus engagés, et en incitant les autres à se mettre en mouvement.
SFDR : rendre la finance plus lisible et plus responsable
Adoptée dans le cadre du plan d’action européen pour une finance durable, la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) est entrée en vigueur le 10 mars 2021. Elle s’inscrit dans une volonté de mieux encadrer les pratiques de marché en matière d’investissement durable, en imposant aux acteurs financiers une transparence accrue sur leurs engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
L’objectif du SFDR : permettre aux investisseurs de comprendre dans quelle mesure un produit financier prend réellement en compte les enjeux de durabilité. Pour cela, la réglementation impose la publication d’informations harmonisées, à la fois :
- au niveau de l’entreprise financière (banques, assureurs, gestionnaires d’actifs…),
- et au niveau des produits d’investissement (fonds, obligations vertes, assurances vie…).
Les produits sont classés en trois grandes catégories :
- Article 6 : produits qui ne prennent pas en compte les objectifs de durabilité,
- Article 8 : produits promouvant des caractéristiques environnementales ou sociales,
- Article 9 : produits ayant un objectif d’investissement durable explicite.
En 2023, les encours des fonds Article 8 et 9 représentaient 5 200 milliards d’euros, ce qui illustre l’ampleur croissante de ces produits dans le paysage financier européen.
Le SFDR impose également des exigences en matière de reporting ESG, obligeant les acteurs à indiquer :
- s’ils considèrent les incidences négatives de leurs investissements sur les facteurs de durabilité,
- et comment leurs décisions sont alignées avec les objectifs environnementaux et sociaux de l’Union européenne.
Le SFDR est un levier réglementaire essentiel pour faire évoluer la finance vers un rôle plus responsable, complémentaire de la taxonomie verte qui définit le quoi, tandis que le SFDR organise le comment communiquer et rendre compte.
CSRD : un cadre ambitieux de transparence

Parmi les piliers réglementaires du Pacte vert pour l’Europe, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) incarne l’ambition de l’Union européenne d’harmoniser, renforcer et généraliser le reporting extra-financier des entreprises. Adoptée fin 2022, cette directive représente une avancée majeure en matière de transparence ESG (Environnement, Social, Gouvernance), en remplaçant la NFRD (directive précédente) devenue insuffisante face aux attentes actuelles.
L’objectif de la CSRD est double :
- Accroître la confiance des parties prenantes (investisseurs, consommateurs, partenaires) dans les engagements durables des entreprises ;
- Fournir des données fiables, comparables et standardisées sur la performance extra-financière des entreprises européennes.
Concrètement, la directive impose à plus de 50 000 entreprises (grandes entreprises, PME cotées, sociétés financières...) de publier des rapports de durabilité conformes aux normes européennes ESRS, intégrant des informations détaillées sur :
- les impacts environnementaux et sociaux de leurs activités,
- leur gouvernance,
- leur stratégie face aux risques liés à la durabilité,
- et leurs engagements pour une transition juste.
La CSRD introduit plusieurs nouveautés majeures :
- Élargissement du champ d’application à un plus grand nombre d’entreprises ;
- Standardisation des données ESG grâce à des normes communes (ESRS) ;
- Format numérique obligatoire pour faciliter l’analyse et l’accès aux données ;
- Vérification obligatoire des données publiées par un auditeur externe.
Une dynamique remise en question ?
Cependant, alors que sa mise en œuvre était attendue de façon progressive dès 2024, la loi Omnibus, en cours de discussion au niveau européen, pourrait reporter l’application des normes ESRS pour certaines catégories d’entreprises, notamment les PME. Ce recul soulève des inquiétudes sur la cohérence globale du cadre européen de durabilité, à un moment où la régulation commence tout juste à porter ses fruits en matière de transparence.
Certains États membres et acteurs économiques y voient un besoin de simplification, tandis que d’autres alertent sur un risque de dilution des exigences et un signal négatif envoyé aux marchés en matière d’engagement environnemental.
Quoi qu’il en soit, la CSRD reste à ce jour le cadre réglementaire le plus ambitieux en matière de reporting extra-financier à l’échelle mondiale. Son articulation avec d’autres dispositifs comme la taxonomie verte ou le SFDR en fait un levier clé pour accélérer la transformation durable des entreprises européennes, à condition que son ambition soit maintenue.
Loi Énergie-Climat – Article 29 : un levier encore sous-exploité pour la finance verte
Adopté en 2019, l’article 29 de la Loi Énergie Climat marque un tournant dans la régulation du secteur financier en France. Il impose aux acteurs financiers — sociétés de gestion, banques, assureurs — de rendre compte publiquement de leur exposition aux risques climatiques et à la perte de biodiversité, ainsi que des impacts de leurs investissements sur ces mêmes enjeux.
Ce dispositif s’inscrit dans une dynamique de responsabilisation des acteurs financiers face à la crise écologique. Il impose une double obligation de transparence :
- D’une part, les acteurs doivent publier les impacts de leurs portefeuilles sur le climat et la biodiversité (émissions financées, contribution à la déforestation, etc.).
- D’autre part, ils doivent évaluer la vulnérabilité de leurs investissements face aux risques associés à ces deux thématiques (aléas climatiques, raréfaction des ressources naturelles, perte d'actifs due à des réglementations futures, etc.).
L’objectif : intégrer plus systématiquement les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la stratégie d’investissement et la gestion des risques, et favoriser une meilleure prise en compte des enjeux climatiques et de biodiversité dans les décisions financières.
Une mise en œuvre encore limitée
Pourtant, en 2023, seuls 30 % des acteurs concernés avaient produit un reporting conforme à l’article 29. Ce chiffre interroge, d’autant plus que le périmètre de la loi concerne tous les acteurs financiers dont les encours sous gestion dépassent les 500 millions d’euros. Plusieurs raisons expliquent cette adoption partielle : complexité du reporting, manque de données disponibles, ou encore absence de sanctions dissuasives.
Et pourtant, ce cadre représente un puissant levier pour aligner la finance avec les objectifs climatiques et de préservation de la biodiversité. Il permet non seulement de mieux mesurer les risques, mais aussi d’orienter les investissements vers des projets et entreprises compatibles avec les enjeux environnementaux.
Dans un paysage réglementaire de plus en plus structuré (CSRD, SFDR, Taxonomie verte…), l’article 29 offre une traduction nationale concrète des exigences européennes, en insistant sur l’articulation entre climat et biodiversité, souvent traités séparément jusqu’ici.
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