Les “bombes climatiques” (ou “bombes carbone”) correspondent aux activités sur Terre qui, de par leur capacité à émettre de très grandes quantités de gaz à effet de serre, contribuent à accélérer significativement le réchauffement climatique, et constituent un risque majeur pour l’environnement, la biodiversité et la santé.
On distingue alors les activités directement liées à l’exploitation anthropique (mines de charbons, sables bitumineux, gisements de gaz et de pétrole) et les phénomènes conséquences indirectes de l’activité humaine, tels que la fonte du permafrost.
En mai 2022, des chercheurs ont établi une liste de 425 sites à travers le monde répondant aux critères de“bombe climatique”. Si ces sites étaient exploités dans leur totalité, c’est plus de deux fois le budget carbone restant pour espérer stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle qui serait émis.
L’avenir du climat et la stabilisation des températures est grandement dépendant de la capacité de nos sociétés à stopper l’exploitation et l’expansion de ces “bombes climatiques”.
Les 425 "bombes climatiques" qui menacent l'avenir du climat
Dans une étude parue en mai 2022 dans Energy Policy, des scientifiques et des chercheurs dressait la liste de 195 projets pétroliers et gaziers et 230 mines de charbon, opérationnelles ou en cours de construction constituant les “bombes climatiques”.
S’ils étaient exploités dans leur totalité, ces gigantesques projets pétroliers et gaziers entraîneraient à chacun d’eux plus d’un milliard de tonnes d’émissions de CO2 au cours de leur durée de vie, soit l’équivalent d’environ 18 années d’émissions mondiales actuelles.
Red Hill en Australie, North Field au Qatar, une usine de gaz naturel liquéfié (GNL) prévue dans la province de Cabo Delgado au Mozambique, Christina Lake au Canada, les mines de Hamback et de Garzweiler en Allemagne ou de Hongshaquan en Chine ne sont que quelques exemples de ces 425 projets répartis dans 48 pays à travers le monde.
Parmi ces pays, une dizaine s’illustrent par la quantité de projets qu’ils accueillent ou prévoient d'accueillir.
La Chine loin devant tous les autres pays avec 141 projets, puis la Russie avec 41, l’Iran avec 24, l’Arabie Saoudite avec 23, l’Australie avec 23, les États-Unis avec 22, l’Inde avec 18, le Qatar avec 13, le Canada avec 12 et l’Irak avec 11.
Pour 60% de ces projets, les forages auraient déjà débuté.
S’ils étaient tous exploités jusqu’à leur terme, ils pourraient alors émettre 646 milliards de tonnes de CO2, soit le double du budget carbone mondial fixé à ne pas dépasser pour espérer contenir le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle.
Les activités des industries françaises ne manquent pas à l’appel, puisque le géant français TotalEnergies s’illustre une nouvelle fois dans sa capacité à contribuer significativement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre.
On considère d’ailleurs son projet de partenariat avec la compagnie Qatar Energy pour prolonger l’exploitation du gisement de gaz naturel North Field au large des côtes qataries comme étant la “pire bombe climatique au monde.”
Situé entre les eaux territoriales de l’Iran et du Qatar, le projet North Field constitue le plus grand gisement de gaz naturel au monde. Son exploitation a débuté en 1988 et sa première livraison de gaz liquéfié en 1996.
Avec 51 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel in situ, et 7,9 milliards de mètres cubes de condensâts (mélange liquide d’hydrocarbures légers obtenu par condensation), les capacités totales d’extraction de ce gisement représenterait plus de deux fois celles du plus grand gisement de pétrole connu à jour, Ghawar, situé en Arabie Saoudite.
D’après un diagnostic produit par le cabinet Carbone 4, en tenant compte de l’ensemble des émissions de sa chaîne de valeur, le gaz naturel liquéfié émettrait 2,5 fois plus d’équivalent CO2 que le gaz transporté par gazoduc.
À eux seuls, l’ensemble des projets d’exploitation liés à North Field représenteraient 24 gigatonnes d’équivalent CO2 d’après les scientifiques. C’est plus de la moitié de l’ensemble des émissions de CO2 émises sur Terre en 2019.
C’est en ce sens qu’il est considéré comme étant la pire bombe climatique du monde.
Des zones à très fortes émissions en passe de devenir des "bombes climatiques"
Alors que des scientifiques ont dressé une liste de ce qu’on considère désormais comme augmentant significativement les quantités d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, d’autres activités et phénomènes qui ne figurent pas dans cette liste sont pourtant tout aussi alarmants.
Le cas Nord Stream et les fuites de méthane
Fin septembre 2022, dans un contexte de guerre russo-ukrainienne, des explosions étaient captées sur le réseau des gazoducs Nord Stream 1 et 2 dans la mer Baltique.
Ces tuyaux enfouis sous les mers renferment du gaz naturel composé à 90% de méthane, un gaz au pouvoir réchauffant 84 à 87 plus puissant que le CO2 sur 20 ans.
Selon les déclarations de Sasha Müller-Kraenner (de l’ONG allemande DUH), ces fuites auraient libéré plusieurs millions de tonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions annuelles de 1,4 million de voitures.
Aujourd’hui, ces énormes fuites enregistrées ne sont pour autant pas encore considérées comme une “bombe climatique”, mais il s’agit là d’un événement venant s’additionner aux activités décrites plus haut et qui freine toujours plus les efforts menés pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
D’ailleurs, au début de l’année 2022, des chercheurs du CNRS nous rappelaient la gravité de l’impact des fuites dans le réchauffement climatique.
Dans leurs travaux publiés dans la revue Science, ils ont pu cartographier 1800 fuites de méthane à travers le monde et visibles sur des images satellites.
Provoqués par des opérations de maintenance et des fuites accidentelles sur les réseaux et les zones d’extraction, ces rejets produiraient un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an.
Aujourd’hui, ces zones de fuites ne sont officiellement pas considérées comme des “bombes climatiques”, mais elles constituent des sources d’émissions souvent évitables et extrêmement nocives pour le climat et qui ne font que faire s’éloigner les probabilités de contenir le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle.
Le cas TotalEnergies
Total Energies est dans tous les coups.
Le 5 septembre 2022, la multinationale française déposait une demande de licence de production pour les champs gaziers de Brulpadda et de Luiperd situés au large des côtes sud-africaines.
La mise en place d’un projet d’extraction dans cette zone pourrait être désastreuse pour la biodiversité réputée riche sur place. Selon la présidente de l’ONG Bloom, Claire Nouvian, “le déploiement des infrastructures provoque du bruit, utilise des sonars et des ondes sismiques en pleine zone de migration des baleines.”
Sur le plan climatique, le projet de TotalEnergies est susceptible d’être qualifié de “bombe climatique” par l’ampleur des conséquences qu’il entraînerait.
En effet, la réalisation d’un tel projet pourrait rendre accessible des ressources en mer jusqu’ici inexploitées et un accord favorable de l’Afrique du Sud enverrait un signal à d’autres pays qui seraient tentés de poursuivre l’extraction d’énergies fossiles au sein de leurs frontières.
L’exploitation de l’intégralité des ressources pétrolières et gazières de l’Afrique du Sud reviendrait à lâcher l’équivalent de 6,5 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit plus de 15 ans des émissions actuelles du pays.
Après EACOP et North Field, l’Afrique du Sud, TotalEnergies est partout.
Après un premier trimestre 2022 placée sous le signe du profit (les bénéfices de l’entreprise ayant augmenté de 48% sur la période), TotalEnergies voit son emprise sur les ressources de la planète s’étendre.
Dans le top 10 des principaux producteurs de sables bitumineux et impliqué dans 24 des bombes climatiques décrites plus haut, la société continue d’investir dans de nouveaux projets tout en se targuant d'œuvrer pour la transition énergétique.
Une belle preuve de greenwashing.
"Faire croire que le gaz est une énergie verte, au moment où l’on doit laisser les énergies fossiles sous terre et passer aux renouvelables, c’est un mensonge qui a de lourdes conséquences ! Ça nous enferme dans une trajectoire de fortes émissions de carbone" poursuit Claire Nouvian.
Réagir et inverser la tendance pour stopper l'expansion de ces "bombes climatiques"
Si l’ensemble des 425 “bombes climatiques” présentées plus haut étaient exploitées jusqu’à leur terme, c’est plus du double du budget carbone disponible pour stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C qui serait émis. Autant dire une catastrophe.
Le désamorçage de ces “bombes climatiques” devient alors une priorité si on ne veut pas que tous les efforts entrepris jusqu’à ce jour et à venir ne soient vains.
Plusieurs enjeux se dessinent alors.
Sortir des projets d'exploitation en cours et à venir
Mettre en place un moratoire sur les chacune des “bombes climatiques” qui n’ont pas encore été lancées est la première étape pour éviter que la totalité de ces projets ne soient exploitées.
En effet, selon une étude menée par l’université de Leeds, stopper les projets qui n’ont pas encore commencé permettrait d’éviter “d’environ un tiers les émissions” issus de ces projets.
La fermeture des sites dont la production est déjà en cours concerne les deux tiers restants.
Pour respecter les Accords de Paris, c’est désormais aux États et instances internationales d'accélérer leur interventionnisme, en exigeant la fermeture anticipée d’infrastructures existantes et en interdisant la poursuite de l’exploitation de zones naturelles.
Et on sait que c’est possible, comme en témoignent l’interdiction annoncée de la France en novembre 2022 de poursuivre “l’exploitation minière des grands fonds marins”.
Stopper les financements des projets à venir
Si plus aucun financement ne partait vers l’extraction des énergies fossiles et l’exploitation de nouveaux gisements, alors les sociétés responsables de ces catastrophes naturelles n’auraient plus les moyens de développer des projets d’une telle envergure.
En effet, depuis 2014, selon le rapport Banking on Climate Chaos, c’est plus de 4500 milliards de dollars qui sont partis des 60 plus grandes banques internationales pour financer ce type de projet.
Les choses commencent à changer.
En décembre 2022, la banque française Crédit Agricole annonçait qu’elle stopperait le financement de nouveaux projets d’extractions de pétrole d’ici à 2025.
2025 c’est loin, et le pétrole n’est pas la seule énergie fossile pour laquelle il faudrait stopper les investissements, mais un tel désengagement est une première dans le paysage financier français, qu’on se doit d’encourager.
On doit désormais aller plus loin.
De plus, c’est le 21 octobre 2022 que le Président français Emmanuel Macron a annoncé le retrait de la France du Traité sur la Charte de l’énergie.
Signé en 1994 par une cinquantaine de pays, ce traité jusqu’alors inchangé permet aux multinationales et aux investisseurs d’attaquer en justice les gouvernements signataires du traité si ceux-ci appliquent à leurs politiques énergétiques des modifications contraires à leurs intérêts.
Un vrai frein à l’instauration de politiques de transition énergétique efficaces.
Sortir de cet accord est un minimum, il est même aberrant de voir que la France a pu y rester si longtemps ou que d’autres pays y sont encore, mais il n’en demeure pas moins qu’un signal fort a été envoyé aux investisseurs et aux multinationales sur le fait que les soutiens commencent à changer de camp.
Ce n’est que le début, la sortie de ce type de traité doit se poursuivre à l’échelle internationale, et l’arrêt des investissements se stopper rapidement.
Réduire nos émissions et accélérer la transition de nos sociétés vers les énergies renouvelables
Le dernier volet sur lequel nous estimons nécessaire d’agir pour stopper le déploiement des “bombes climatiques” et inverser la tendance, est l’accélération de la transition énergétique de nos sociétés et la réduction directe de notre dépendance aux énergies fossiles.
C’est d’ailleurs ce sur quoi nous estimons avoir le plus de pouvoir d’action directe chez rivaje.
Aujourd’hui, les énergies fossiles sont responsables de 80% de nos émissions de gaz à effet de serre, et selon le dernier rapport du Giec, d’ici à 2050, notre dépendance au pétrole et au gaz doit être réduite de 60% à 70% par rapport à 2019.
Pas une mince affaire !
Changer notre dépendance aux énergies fossiles ne se fera pas d’un claquement de doigts tellement nos modes de vies sont dépendants de ces énergies, mais des changements concrets sont identifiés comme
- Accélérer le déploiement de la mobilité partagée (train, transport en commun)
- Accroître les aides au changement de véhicule
- Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments
- Apprendre à repenser nos modes de vie (mobilité, consommation etc.)
- Repenser nos alimentations
- Etc.
Dans le même temps, il ne faut pas baisser les bras et considérer que nos efforts pour changer les choses seront annihilés par l’ampleur des conséquences des “bombes climatiques” décrites.
Car les combats doivent être menés de front : transformer nos sociétés et changer nos comportements tout en œuvrant pour l’interdiction de ces projets.
Et puis c’est aussi en changeant massivement nos comportements en tant que société que ces projets viendront à se fermer d’eux-mêmes, car s’il n’y a plus personne pour consommer les énergies fossiles, il n’y aura plus d’intérêt pour les multinationales de poursuivre leurs activités.
Pour aller plus loin
- Le Grand Livre du Climat, Greta Thunberg, Éditions Calmann Levy, 2022
- Allas de l'Anthropocène, François Gemenne, Aleksandar Rankovic et Atelier de cartographie de Sciences Po, Éditions Presses de Sciences Po, 2021
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