Savez-vous ce qu’il s’est passé le 28 juillet dernier ?
C’était le jour du dépassement de l’année 2022.
Chaque année depuis 1970, l’ONG Global Footprint Network compare des indicateurs agrégés de la consommation humaine en ressources naturelles et de la capacité de la Terre à fournir ces ressources pour définir la date du “jour du dépassement” ou “overshoot day”.
Le jour du dépassement correspond à la date à partir de laquelle l’humanité a consommé l’ensemble des ressources que la Terre est capable de régénérer en une année.
Tous les ans depuis désormais plus de 50 ans, ce jour marque la date à partir de laquelle l’humanité commence à vivre à crédit par rapport à ce que la Terre est capable de lui fournir.
Plus les années passent, plus cette date arrive tôt dans le calendrier.
Un monde vorace en ressources énergétiques et matérielles
L’humanité consomme trop rapidement les ressources disponibles
Calculé en croisant les données statistiques et les modèles de 200 pays, le jour du dépassement marque la date à partir de laquelle l'humanité a consommé toutes les ressources que la planète est capable de régénérer en une année.
Passé cette date, on considère alors que l’humanité vit à crédit et commence à utiliser les ressources qui devraient être réservées aux générations futures.
Concrètement qu’est ce que ça veut dire ?
Nous partageons tous une planète dont les ressources sont limitées, cela signifie que nous ne devons en aucun cas nous accaparer toutes ses ressources sans tenir compte du fait que tôt ou tard elles finiront par s'épuiser, ni considérer que nos actions sont sans conséquences sur l’état des écosystèmes.
Oui, la Terre est une surface finie, une sphère avec des limites, dans laquelle il est impossible de stocker quoi que ce soit de manière illimitée.
Pour vivre durablement dans un monde fini, c’est la première chose à considérer.
La Terre c’est aussi un système fabuleusement complexe qui voit des systèmes de vie complexes évoluer et s’y développer depuis désormais 3,8 milliards d’années.
Si cela fait tant d’années que la vie s'épanouit, avec ses hauts et ses bas, c’est qu’elle a réussi à vivre en harmonie et su bénéficier des ressources qui lui étaient offertes, sans jamais trop lui en demander.
Puis il y a 300 000 ans, homo sapiens, l’être humain a fait son apparition parmi tous les autres organismes.
Il a évolué pendant des milliers d’années en composant avec cet écosystème, jusqu’à découvrir que les ressources de la Terre pouvaient lui offrir des capacités de développements allant au-delà de ses espérances.
À l’aube de la révolution industrielle, voyant son développement s’accélérer, l’humanité faisait son entrée dans l’ère de l'Anthropocène, marquée par le phénomène de la Grande Accélération.
Homo sapiens a mis en marche sa machine. Il a travaillé sans relâche à son développement, s’est enrichi, a fait augmenter son espérance de vie, a éradiqué des maladies et a permis à certaines populations d’améliorer ses conditions de vie.
Mais tout ça en négligeant le caractère essentiel des systèmes dans lesquels nous vivons, ils sont finis.
Les ressources disponibles et la capacité du système Terre à se régénérer ont commencé à ne plus suffire.
En 2011, l’OCDE estimait d’ailleurs que l’utilisation de métaux, de biomasse, de combustibles fossiles et de minéraux non métalliques atteignait 79 milliards de tonnes, un chiffre qui pourrait grimper à 167 milliards en 2060 (Atlas de l’Anthropocène, François Gemenne et Aleksandar Rankovic)
Désormais, chaque année depuis 1970, nos activités de développement dépassent la capacité de la Terre à se régénérer.
Chaque année, l’humanité vit à crédit et accroît la dette qu’elle a envers la Terre.
Nous avons dépassé l’équilibre qui prédominait depuis toujours.
Des ressources qui se raréfient d'années en années
En 1970, l’humanité marquait tristement l’histoire de la planète Terre.
C’était un 29 décembre.
Pour la première fois dans l’histoire, la Terre n’était plus capable d’assurer le renouvellement durable de ses ressources.
L’accélération croissante du développement des activités humaines ne permettait plus à la Terre de se régénérer suffisamment rapidement pour absorber le développement de l’humanité.
En 1972, dans le célèbre rapport “Les limites à la croissance” Dennis Meadows, Donella Meadows et Jørgen Randers projetaient à travers leurs modèles que la raréfaction des ressources de la planète commencerait à se faire sentir à partir des années 2020.
En 2006, était franchi le pic de production du pétrole conventionnel, c'est-à-dire que depuis, la production annuelle de pétrole conventionnel voit ses quantités diminuer d’années en années.
Pourtant, notre demande en énergie n'a elle pas cessé de croître.
Et chaque année depuis la création du modèle du jour du dépassement créé par l’ONG Global Footprint Network, la date à laquelle l’humanité a épuisé l’ensemble des ressources que la Terre est capable de régénérer en une année arrive tôt.
C'est-à-dire que chaque année, on épuise toujours plus rapidement les ressources de la planète que l’année précédente.
On ne laisse aucun répit…
Ce graphique nous montre illustre d’ailleurs parfaitement l’évolution que la position du jour du dépassement prend d’années en années.
Elle s’aggrave.
Rare exception notable depuis le milieu des années 90, l’année 2020, qui a vu son jour du dépassement nettement reculer : en cause, la pandémie du covid 19 qui a entraîné l’arrêt partiel de nos économies.
Nous sommes aujourd’hui en 2023 et les données les plus récentes placent le jour du dépassement au 28 juillet.
En d’autres termes, on considère aujourd’hui qu’il faudrait en moyenne à l’humanité une surface disponible équivalente à “1,75 Terre” pour régénérer ce qu’elle consomme.
Cela veut dire que chaque année, l’humanité consomme 74% de ressources en trop.
Sans grande surprise, c’est le Qatar qui occupe la première place avec un équivalent planète consommée qui porte son nombre à 9, un chiffre ahurissant.
En dernière position, le Yémen avec 0,3 planètes.
Des conséquences à tous les niveaux
Chacune de nos activités, minime soit elle, a un impact sur les écosystèmes. Et c’est normal.
L’enjeu n’est donc pas de tout arrêter car c’est physiquement impossible, et puis parce que la Terre reste capable d’absorber nos actions jusqu’à un certain niveau.
L’enjeu est plutôt de comprendre que poussées à l’extrême (comme ce qu’on fait aujourd’hui), nos activités entraînent des conséquences néfastes sur les écosystèmes et nos conditions d'habitabilité sur Terre.
Pollution de l'air et de l'eau, déforestation, désertification, épuisement des ressources en eau douce, érosion de la biodiversité, changement climatique et augmentation des déchets sont autant de problèmes qui résultent de la surconsommation des ressources naturelles.
L’empreinte écologique actuelle des activités humaines dégradent les écosystèmes et sont intimement liés au dépassement des limites planétaires (dont l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, principale cause du réchauffement climatique).
Le WWF souligne d’ailleurs dans son rapport sur le jour du dépassement que notre système agricole et alimentaire actuel sont une des principales causes de l’accaparement des ressources par l’humanité.
“L'analyse des causes du dépassement fait apparaître le rôle du système agricole et alimentaire. En effet, nos régimes alimentaires nécessitent aujourd’hui en termes de nourriture de grandes surfaces de cultures et rejettent d'importantes émissions de GES. Au total, la moitié de la biocapacité de la planète (55 %) est aujourd'hui utilisée pour nourrir l’humanité”
Nous ne sommes pas tous égaux face au jour du dépassement
Comme lorsqu’on parle des émissions de gaz à effet de serre, il est important de toujours souligner la responsabilité que chaque État a dans l’épuisement des ressources.
Tous les pays ne sont pas égaux face à l’impact qu’ils ont sur les écosystèmes, et ne doivent par conséquent pas être logés à la même enseigne.
Certains pays consomment en effet les ressources de la Terre à un rythme beaucoup plus élevé que d’autres.
Partons du référentiel planétaire posé en 2022 qui indiquait qu’au 28 juillet, l’humanité avait consommé l’ensemble des ressources que la Terre est capable de régénérer en une année.
Le jour du dépassement en France
En France, on le sait, nos modes de vie et la richesse économique que l’on crée place le pays en tête des pays dans le monde.
Si maintenant on sort du seul prisme économique et que l’on repositionne la France dans le cadre des ressources qu’elle puise et de l’impact que ses activités ont sur les écosystèmes, alors elle ne fait plus partie des meilleurs de la classe, et de loin.
En effet, si en 2022 l’humanité entière vivait comme chaque français, alors le jour du dépassement ne se situerait plus le 28 juillet, mais le 5 mai, près de 3 mois avant !
Et alors qu’il faudrait aujourd’hui en moyenne 1,75 Terre à l’humanité pour permettre à la planète de se régénérer, si on positionne chaque habitant dans le même cadre de vie qu’un.e français.e, il faudrait alors à l’humanité une surface disponible équivalente à 2,8 Terre pour régénérer ce qu’elle consomme.
Ramener la France dans le cadre des limites planétaires ne veut pas dire que les conditions de vie de la plupart de ses habitants se dégraderaient, cela veut dire que l’on adopterait une répartition plus équitable des richesses et des modes de vie plus sobre, sans pour autant dégrader les conditions qui font qu’une société évolue dans un cadre sain.
Le jour du dépassement dans le monde
Si on zoom désormais sur l’ensemble des pays du monde, on se rend alors compte que les disparités sont affolantes entre les pays.
On observe des corrélations très fortes entre richesse économique par habitant et position du jour du dépassement dans l’année.
Plus un pays est riche, plus il consomme les ressources de la planète et plus il dégrade la capacité de celle-ci à se régénérer.
Inversement, plus un pays est pauvre, plus sa date de dépassement est éloignée dans l’année.
Pour prendre les 2 extrêmes, on s’aperçoit que si chaque habitant de la Terre vivait comme un.e qatari, le jour du dépassement aurait lieu le 10 février, alors que si chaque habitant de la Terre vivait comme un.e jamaïcain.e, le jour du dépassement aurait lieu le 20 décembre, soit quasiment 1 an d’écart.
Et en équivalent Terre, c’est le Qatar qui arrive en première position portant le nombre de Terre nécessaire si chaque habitant de la planète vivait comme ses habitant.e.s à 9.
Faire reculer le jour du dépassement
Permettre à la Terre de retrouver ses capacités de régénération est nécessaire pour contenir le dépassement des limites planétaires et lutter entre autres contre le réchauffement climatique, aujourd’hui priorité des démarches environnementales des États du monde.
Plusieurs pistes sont alors avancées par le Global Footprint Network
La première c’est la réduction des émissions de gaz à effet (tiens tiens, toujours elles) qui représentent à elles seules 60% de notre empreinte écologique mondiale.
“En diminuant les émissions de CO2 de 50%, nous pourrions gagner 93 jours dans l'année, soit faire reculer le jour du dépassement à octobre” souligne l’association WWF.
Arnaud Gauffier, directeur des programmes au WWF France explique en effet que “Les forêts, qui nous offrent des services essentiels comme le stockage du carbone ou la régulation du cycle de l'eau, font partie des espaces que nous détruisons pour produire et consommer davantage. Conséquence : même des régions d'Amazonie se mettent à émettre plus de CO2 qu'elles n'en captent. Si nous voulons faire reculer le jour du dépassement et maintenir nos conditions de vie sur Terre, nous devons d'urgence limiter nos émissions de CO2 mais aussi mettre un terme à la déforestation.”
La deuxième concerne notre alimentation et est également étroitement liée aux émissions de gaz à effet de serre.
“En divisant par deux la consommation de protéines animales, nous pourrions repousser la date du jour du dépassement de 15 jours par an" poursuit le WWF.
Pour préserver la capacité de la Terre à se régénérer et faire reculer le jour du dépassement, on estime que 3 transformations liées à notre alimentation sont nécessaires
- La réduction de la consommation de protéines animales, comme nous l’avons vu juste au-dessus.
- L’arrêt de la conversion des écosystèmes naturels.
- La transformation de nos modes de production vers l'agroécologie.
Plus largement, c’est nos modes de production et de consommation qui doivent être revus, pour entraîner une baisse globale de nos utilisations de ressources et permettre à la Terre de retrouver ses capacités de régénération sur une année.
À échelle individuelle, on peut aussi agir sur son mode de vie qui a qu’on le veuille ou non, des impacts sur les émissions de gaz à effet de serre, qui elles-mêmes impactent la place du jour du dépassement dans l’année.
Nous ne prônons pas les seuls gestes individuels, mais nous pensons qu’il s’agit d’un ensemble à activer avec d’autres actions au niveau de l'État et des entreprises.
Comme par exemple la manière dont on se déplace, ce que nous mangeons, la manière dont on se chauffe, ou encore la réduction du gaspillage alimentaire qui a un impact énorme, car qui dit réduction du gaspillage alimentaire, dit réduction des surfaces agricoles exploitées, et donc volume de terre à utiliser moins important.
Pour consulter nos conseils pour réduire votre empreinte environnementale, consultez notre article “9 conseils pour réduire facilement son empreinte carbone personnelle”
Pour aller plus loin
- Atlas de l’Anthropocène 2021, François Gemenne, Aleksandar Rankovic et Atelier de cartographie de Sciences Po
- Les Limites à la croissance (dans un monde fini), Dennis Meadows - Donella Meadows - Jorgen Randers
Recevez chaque mois votre dose d'inspiration sur le vivant
Notre newsletter pour découvrir les entreprises qui s'engagent pour la nature, recevoir des infos pour vous émerveiller sur le vivant ou suivre nos actualités.