Si on vous dit pollution, il y a de grandes chances pour que vous réussissiez à l’illustrer en en citant quelques exemples.
Certaines formes sont directement visibles ou paraissent évidentes, comme la pollution de l’air (avec l’accumulation des gaz à effet de serre ou les particules fines), la pollution des sols (avec le rejet de produits chimiques comme les pesticides ou les engrais), la pollution des eaux (conséquence du dégazage des bateaux en mers ou du rejet de produits chimiques dans les rivières, fleuves ou par infiltration dans les nappes phréatiques) ou encore les pollutions plastiques.
Pourtant, il en existe aussi une bien moins tangible : la pollution lumineuse.
La pollution lumineuse c’est l’excès de lumière émise par les zones artificialisées. On peut recenser les lumières intérieures et extérieures des habitations, celles des bâtiments (panneaux publicitaires, vitrines de magasins, bureaux…) et des espaces publics (routes, ponts, trottoirs…) ou encore celles des zones d’infrastructures comme les aéroports ou les signalisations maritimes.
On considère cet excès de lumière comme une pollution puisqu’elle exerce une influence nocive sur l’environnement qui l’entoure.
En 2019, le physicien italien Fabio Falchi annonçait que 83% de la population mondiale était victime de pollution lumineuse.
Et ce phénomène tend à s’aggraver depuis plusieurs années.
En effet, selon une étude publiée dans la revue Science en janvier 2023, l’invisibilisation des étoiles dans le ciel, conséquence de la pollution lumineuse, augmenterait d’environ 10% par an. Avant la parution de cette étude, les mesures autrefois enregistrées par satellites, estimaient cette augmentation à “seulement” 2% par an.
Autrement dit, le ciel disparaît beaucoup plus rapidement que prévu.
La cause identifiée de l’augmentation de ce phénomène c’est l’utilisation croissante de lumière bleues émises par les LED depuis quelques années. “Elles consomment certes moins d’énergie, mais produisent une quantité de lumière supérieure”, souligne Anne-Marie Ducroux, présidente de l’ANPCEN (Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes).
Comme toute pollution environnementale, la pollution lumineuse provoquée par l’homme produit une effet négatif sur l’équilibre des écosystèmes et sur nous-même.
Les risques pour la biodiversité
« On parle beaucoup des abeilles qui disparaissent à cause des pesticides. Mais la pollution lumineuse a le même effet sur les insectes qui pollinisent la nuit que les pesticides et l’artificialisation des sols » déclare Sébastien Vauclair, fondateur de DarkSkyLab, bureau d’études spécialisé dans la pollution lumineuse.
C’est tout le paradoxe de la pollution lumineuse.
Trop de lumière est émise, mais on a du mal à visualiser son impact.
Pourtant, une majorité de la biodiversité est affectée par la présence de la lumière aux heures auxquelles elle devrait être absente.
Affectation du cycle de la photosynthèse, pollinisateurs nocturnes désorientés, migrations, chasses, pontes, l’équilibre nocturne de beaucoup d’écosystèmes sont endommagés par la présence excessive de lumière la nuit, et sont parfois la cause de déclins de populations animales.
- Désorientés par l’abondance de lumière, les oiseaux viennent souvent s’écraser sur des bâtiments éclairés. Les cycles migratoires de ces derniers sont largement affectés.
- Les bébés tortues, au lieu de rejoindre la mer à leur naissance, confondent souvent la Lune avec les lumières de la ville, et se dirigent dans la mauvaise direction.
- Quant aux chauves-souris, Johan Eklöf, auteur du manifeste “Osons la nuit” constate lui aussi les dégâts causés par la pollution lumineuse sur ces espèces. Elles disparaissent “peu à peu des églises aux façades éclairées.”
On a tendance à oublier que la biodiversité est majoritairement nocturne, c'est-à-dire qu’elle vit la nuit et se repose la journée.
Depuis des millions d’années, l’ensemble de cette biodiversité nocturne s’est habituée à se fier aux étoiles ou à la Lune pour s’orienter. Avec l’arrivée soudaine et massive des éclairages, elle est totalement perdue.
Les conséquences de la pollution lumineuse sur l'être humain
Notre métabolisme affecté
Au niveau de notre métabolisme, elle impacte grandement notre qualité de sommeil, et donc par ricochet, notre qualité de vie.
N’entendons-nous pas suffisamment qu’il faut arrêter de regarder notre smartphone juste avant de s’endormir ?
Il y a une raison à ça.
Pour l’être humain, trop de lumière et des durées de sommeil trop courtes dans des espaces suffisamment sombres affectent le métabolisme de nos cellules en entraînant la diminution de la production de mélatonine, l’hormone qui provoque le sommeil.
Cinq à six heures d’obscurité, c’est la durée quotidienne dont notre système hormonal a besoin. S’il est bouleversé, cela peut provoquer des troubles de l’endormissement, mais aussi impacter notre cycle de digestion, pouvant entraîner obésité, diabète et maladies cardiovasculaires.
Le soir, une présence trop forte de la lumière pourrait aussi stimuler la croissance de tumeurs et accroître le développement de certains cancers.
Pollution lumineuse et crise énergétique
Sur le volet climatique et pour des raisons économiques, la crise de l’énergie impacte aujourd’hui le quotidien de bon nombre d’entre nous.
- Plus chère, l’utilisation de l’énergie pour se chauffer ou se déplacer impacte aujourd’hui significativement notre pouvoir d’achat.
- Conséquence d’une raréfaction des ressources, la crise de l’énergie entraîne aussi des retours en arrière sur l’utilisation des matières premières, comme en témoigne la réouverture récente de la centrale à charbon Emile-Huchet en France pour produire de l’électricité.
Réduire les éclairages et donc la pollution lumineuse, serait un très bon moyen d’économiser de l’énergie quand on sait que l’éclairage artificiel mondial représente aujourd’hui un dixième de l’ensemble de notre consommation énergétique.
La sobriété énergétique est désormais rentrée dans le langage courant. Pourquoi n’y ferions-nous pas rentrer la sobriété lumineuse ?
La perte de contact avec les étoiles
"Auparavant, lorsque les gens sortaient la nuit, ils étaient en quelque sorte confrontés au cosmos", déclare auprès de l’AFP Christopher Kyba, physicien au Centre GFZ de Potsdam en Allemagne.
Un ciel étoilé, c’est beau. La voie lactée qui s’élance dans le noir profond de la nuit, c’est envoutant. Une constellation qui dessine dans le ciel ce qu’on a envie d’y voir, ça stimule l’imaginaire.
Voilà des raisons de combattre la pollution lumineuse, pour ne pas perdre le contact avec les étoiles et avec l’immensité de l’univers dans lequel nous sommes plongés.
"Et maintenant, c'est comme si c'était devenu un événement inhabituel", poursuit Christopher Kyba. "Et cela a sûrement des conséquences sur nous (...), ne plus vivre ce qui était presque universel."
Nous sommes en train de faire face au phénomène d’amnésie environnementale.
Et retrouver le contact du ciel obscur n’est pas prêt d’arriver. C’est une étude édifiante sur l’ampleur de la pollution lumineuse publiée le 20 janvier 2023 dans la revue Science par une équipe de scientifiques menée par Christopher Kyba qui le révèle.
Après avoir analysé plus de 50000 observations à l’oeil du ciel nocturne entre 2011 et 2022 par des citoyens du monde entier, Christopher Kyba et son équipe sont arrivés à la conclusion suivante : “l’invisibilisation des étoiles augmenterait d’environ 10% par an”, alors que les précédentes observations satellites estimaient un chiffre avoisinant les 2% par an.
Pourquoi une telle différence de mesure ? Grâce aux satellites, les chercheurs tentaient d’observer le phénomène en mesurant depuis l’espace la lumière émise par les installations humaines. Moins précises, ces mesures ont sous-estimé l’ampleur du problème.
Une telle augmentation serait en partie due à l’évolution de la nature des éclairages au cours des dix dernières années, se déportant de plus en plus vers l’utilisation d'ampoules LED, la lumière de celles-ci se diffusant plus largement dans le ciel que ces ancêtres les ampoules à incandescence.
L’augmentation de la pollution lumineuse est vertigineuse.
Comme le déclare l’astrophysicien Éric Lagadec, « aujourd’hui, un enfant qui naît dans un endroit où il peut voir 250 étoiles la nuit n’en verra plus que 100 quand il aura 18 ans. Nous perdons un des plus vieux héritages communs de l’humanité »
Il est urgent de stopper l’expansion de la pollution lumineuse, il est urgent de retrouver notre rapport ancestral à la nuit.
Quelles solutions pour stopper l'expansion de la pollution lumineuse ?
Il existe 4 types de pollution lumineuse
- L’éblouissement : c’est lorsque une lumière intense brille horizontalement et n’est pas correctement protégée. Les phares d’une voiture par exemple.
- L’intrusion lumineuse : c’est lorsque un éclairage envahit un espace qu’il n’est pas censé éclairer. Les lumières de la rue qui rentrent dans votre chambre par exemple.
- La lueur du ciel (ou “skyglow”) : c’est la luminosité accumulée que les lumières artificielles émettent. Celle-ci est d’ailleurs souvent vue de l’espace. C’est quand vous êtes par exemple à la campagne, non loin d’une grande ville, et que vous observez comme un halo de lumière qui se dessine sur l’horizon en direction de la ville.
- La sur-illumination : c’est lumières vives et excessives.
Toutes ces pollutions participent au fait qu’il est aujourd’hui difficile de trouver en France ou dans le monde des zones complètement vierges de lumière artificielle.
Stopper l’expansion de nouvelles zones émettrices de pollution lumineuse est la première chose à faire pour lutter contre ce phénomène et réduire la pression anthropique qui pèse sur les écosystèmes.
Réduire l’intensité et la surface des zones déjà éclairées est la deuxième étape par laquelle passer pour espérer retrouver nos nuits.
Éteindre les éclairages des rues et des routes peu fréquentées la nuit
En France, environ une commune sur trois de plus de 100 habitants pratique désormais ce qu’on appelle l’extinction des feux en cœur de nuit, c'est-à-dire que les éclairages sont éteints entre 1h et 7h du matin.
C’est une première étape encourageante vers la diminution de la pollution lumineuse, mais loin d’être suffisante, puisque quand on regarde de plus prêt la biodiversité, beaucoup d’espèces animales sont les plus actives juste avant le lever du soleil, donc au moment où les lumières se rallument.
Et qu’en est-il des deux autres tiers des communes qui laissent leurs rues allumées toute la nuit ? Pour le moment, pas grand chose. Souvent, les débats autour de l’arrêt des éclairages nocturnes sont houleux puisque des enjeux de sécurité entrent en jeu, et ce à juste titre, mais bloquant totalement les décisions en faveur de réduction de l’éclairage.
Pourtant, on ne doit plus raisonner en faisant des généralités sur l’éclairage nocturne. On ne doit pas partir du principe que l’on applique les mêmes règles pour toutes les rues d’une même ville. Si la rue d’une ville est empruntée tôt le matin par des enfants qui prennent le bus, alors celle-ci devra rester allumée.
Il s’agit de savoir raisonner au cas par cas. C’est plus complexe à mettre en place, et plus long, mais à la fin plus efficace.
Inciter les espaces professionnels à éteindre leurs façades la nuit.
Laisser sa vitrine éclairée en pleine nuit n’a jamais été utile à grand monde. Trop de magasins et de bureaux continuent de le faire. Les éteindre représenterait pour autant une baisse significative de la consommation d’énergie et de la pollution lumineuse, notamment pour les grands complexes commerciaux.
Une solution efficace et qui montrerait l’exemple serait donc de demander aux espaces professionnels qu’ils éteignent leurs façades aux heures de fermeture.
D’ailleurs, plusieurs mouvements civils se sont emparés du problème.
- Lights Off, qui a développé une plateforme citoyenne pour sensibiliser les commerces qui laissent leurs devantures allumées la nuit, en leur demandant de les éteindre.
- Le collectif On The Spot, qui réunit des adeptes du parkour, dont les membres se réunissent la nuit dans les rues de Paris pour éteindre les devantures lumineuses.
Optimiser l'éclairage public
Quand il n’est pas possible d’éteindre les lumières d’une rue ou d’une route, l’autre solution est de réfléchir à l’orientation de la lumière émise. Celle-ci peut être diffusée vers le bas, plutôt que vers le haut ou horizontalement.
Dans certaines zones, il est aussi possible de réfléchir à l’implantation de détecteurs de mouvements. Ça permet à ces zones d’être éteintes quand il n’y a personne, et de s’allumer quand des usagers passent.
Pour de telles solutions, il est aussi important de se poser la question de l’impact sur l’environnement (en terme de quantité de matériaux nécessaires à la construction de grandes quantités de détecteurs), tout est complexe, et tout doit avoir une approche systémique.
Créer des réserves de Ciel Étoilé
Créé pour lutter contre le phénomène de pollution lumineuse et protéger le ciel étoilé, le label RICE (Réserve Internationale de Ciel Étoilé) est décerné aux zones géographiques “qui bénéficient d’un ciel étoilé d’une qualité exceptionnelle … Chaque réserve comprend une zone centrale où la noirceur naturelle est préservée au maximum et une région périphérique où les élus, les individus et les entreprises reconnaissent l’importance du ciel étoilé et s’engagent à le protéger à long terme.”
Décerné par l’association Dark-Sky, seuls 13 zones dans le monde bénéficient aujourd’hui de ce label et jouissent de nuits vierges de lumière artificielle. La dernière en date ayant obtenu le label étant le parc national des Cévennes, que l’on considère comme la plus grande réserve du genre d’Europe.
C’est finalement la plus radicale mais la plus efficace des solutions pour rendre à la nuit son pouvoir de bienfaits envers les écosystèmes dont nous faisons partie.
Nous nous devons de redonner du pouvoir à la nuit. Pour nous, pour la biodiversité, pour la magie d’une nuit étoilée.
Pour aller plus loin
- Sauver la nuit, Samuel Challéat, Éditions Premier Parallèle, 2019
- Le ciel étoilé, un espace en voie de disparition ? France Culture, 13 août 2022
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