Proposé en 2007 par les climatologues Will Steffen et Paul Cruzen et l’historien John McNeill, le concept de Grande Accélération désigne la période durant laquelle les êtres humains et leurs activités ont métamorphosé l’habitabilité de la Terre et de ses écosystèmes plus rapidement et plus profondément que durant aucune autre période de l’histoire.
Ce phénomène révélateur de bouleversements sociaux et environnementaux sans précédent apparaît progressivement au cours du 18ème siècle (début de l’ère industrielle) et connaît une accélération du lendemain de la seconde guerre mondiale à nos jours.
La genèse d’une progressive altération du système Terre
Il y a 300 000 ans, Homo sapiens, cette espèce qui nous définit nous, êtres-humain, fait son apparition sur Terre. C’est la période du Quaternaire, dans laquelle nous évoluons toujours aujourd’hui.
Durant près de 285 000 ans, l’être humain évolue d’égal à égal avec les autres espèces vivantes de la Terre. Il est nomade et vit pour sa grande majorité de chasse, de pêche et de cueillette.
Puis, il y a 11 700 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire, il entre dans l’époque de l’Holocène, période actuelle du temps géologique. Bénéficiant d’un climat clément et de conditions de vie stables, il commence alors à connaître sa plus grande expansion.
Il devient sédentaire et délaisse de plus en plus la chasse, la pêche et la cueillette au profit de l’agriculture et de l’élevage. Cette première phase d’expansion se traduit ainsi par les premières modifications écologiques dues à sa présence : extinction des premières espèces animales (Mammouths, tigres à dents de sabres etc.) et modification des paysages (naissance de l’agriculture).
Plusieurs millénaires passent, puis au cours du 18ème siècle, apparaissent alors des changements nouveaux avec l'avènement de l’ère industrielle : perturbation soudaine des cycles biogéochimiques du carbone, accélération de l’extraction et de la circulation des métaux (utilisés notamment dans la construction d’infrastructures) ou encore le début de la production de composés de synthèse (chimie, plastique, caoutchouc etc.)
En parallèle, l’activité humaine sur le climat commence à se faire sentir : acidification des océans (conséquence de l’augmentation de l’atmosphère en CO2), modification des sols (causée par l’agriculture toujours plus intensive et l’expansion urbaine) ou encore réduction des zones non impactées par l’homme pour la biodiversité (pertes d’habitats ou réduction de la taille des populations des espèces).
Selon plusieurs chercheurs comme Paul Crutzen, ces changements, dont la liste faite ici est loin d’être exhaustive, marquent l’entrée dans l’ère de l’Anthropocène et coïncide avec la hausse de la concentration de CO2 et de méthane dans l’atmosphère (mesurée dans les carottes glaciaires), ainsi qu’avec l’invention de la machine à vapeur, annonciatrice de l’ère industrielle.
En 2003, d’autres chercheurs comme William F. Ruddiman émettent même l’hypothèse que nous serions rentrés dans cette ère il y a plus de 5000 ans avec les débuts de l’agriculture.
En cause, la déforestation, l’irrigation et l’élevage qui auraient entraîné à un rythme bien moins élevé qu’actuellement, mais sur une durée suffisamment longue, une augmentation suffisante des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane) pour entraîner un réchauffement global de l’ordre de 1°C.
Homo Sapiens a toujours eu un impact et produit des changements sur son environnement, mais ce qui est frappant aujourd’hui et qui commence à dessiner les premiers traits du phénomène de Grande Accélération, est l’accroissement de l’intensité de ces changements, de leur nombre et de leur étendue.
La Grande Accélération
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les quelques phénomènes précédemment décrits entrent alors dans une phase d’accélération encore plus nette.
Population, PIB (seul indicateur garant du progrès économique d’un pays), consommation d’énergie primaire (pétrole, gaz, charbon), engrais, consommation d’eau, transports, télécommunications : tous les indicateurs de croissance démographique et socio-économique s’emballent.
C’est la Grande Accélération. Et elle est d’autant plus remarquable lorsqu’on observe l'affolement de la croissance des courbes de chacuns de ces indicateurs.
Entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé 6,6 milliards de tonnes pour développer ses infrastructures, c’est plus que la consommation totale des Etats-Unis sur l’ensemble du 20ème siècle : voilà ce qu’est la Grande Accélération.
Les impacts eux deviennent rapidement mesurables sur tout ce qui régit l’équilibre du système Terre.
Augmentation des gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote), dégradation de la couche d’ozone, acidification des océans, destruction des écosystèmes océaniques (épuisement des ressources et des coraux) et terrestres (déforestation, artificialisation des sols) : tout ce qui fait de la Terre une planète habitable se dégrade à une allure destructrice.
Comment prendre la mesure de la vitesse à laquelle ces changements ont eu lieu ? Comment comparer des durées de quelques dizaines ou centaines d’années avec des millions d’années ? Comment réussir à interpréter correctement et consciemment la gravité du changement ?
Nous pouvons pour cela décrire une analogie très parlante.
Imaginez le projet de votre vie, vous construisez votre propre maison à la force de vos bras, vous coupez du bois, édifiez les fondations, élevez les murs, élaborez la charpente, façonnez votre jardin, et tout ça sur une durée de 30 ans. Vous débutez à 20 ans et à 50 ans, votre maison rêvée est enfin terminée.
Imaginons désormais que les 30 ans de construction équivalent aux 300 000 années passées depuis l’apparition d’Homo sapiens.
Les 250 ans depuis les débuts de la Grande Accélération selon Will Steffen, Paul Cruzen et John McNeill, serait alors, par simple règle de trois, égales à un peu plus de 9 jours.
Si maintenant on rapporte ces 30 ans de construction aux 3,5 milliards passées depuis l’apparition de la vie sur Terre, les 250 ans de notre analogie seraient alors égales à 1min.
Revenons à notre maison. Une violente tempête passe, et en 9 jours, votre maison est complètement détruite, votre maison que vous avez mis 30 ans à construire.
C’est le même rapport de temps qui est aujourd’hui mis en avant lorsqu’on compare les 300 000 ans d’évolution de l’être humain avec les 250 dernières années qui ont vu l’apparition de la Grande Accélération.
C’est comme si l’humanité détruisait en 9 jours un monde stable conçu depuis près de 30 ans.
Les échelles de temps deviennent tout d’un coup beaucoup plus simple à imaginer.
Où va-t-on ?
Augmentation de l’espérance de vie moyenne, progression de l’éducation, diminution de la mortalité infantile, il serait faux de penser que les conditions de vie de l’être humain sur Terre ne se sont pas améliorées en l’espace de quelques siècles.
Pour autant, on observe depuis maintenant plusieurs décennies que ces conditions stagnent voir se dégradent,surtout dans les pays dits développés.
L’augmentation incessante de l’accumulation de richesse a cessé depuis bien longtemps de jouer son rôle de garant du “progrès”.
En aggravant les inégalités sociales et dégradant les écosystèmes, les activités de l’être humain sur Terre ont produit l’effet inverse en dégradant les conditions de vie et en rendant des zones géographiques de plus en plus inhabitables (inondations, montées des eaux, sécheresses).
Nous avons dépassé les limites de la planète.
Il devient plus que jamais nécessaire de revoir nos modes de vies actuels, autrefois symbole de progrès, et de stopper cette course incessante.
Il devient désormais vital d’imaginer de nouvelles trajectoires plus conscientes du monde dans lequel on vit, et de définir des futurs désirables.
Pour aller plus loin
- Le Grand Livre du Climat, Greta Thunberg, Éditions Calmann Levy, 2022
- Allas de l'Anthropocène, François Gemenne, Aleksandar Rankovic et Atelier de cartographie de Sciences Po, Éditions Presses de Sciences Po, 2021
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